En Ford 1972, un vent de liberté a soufflé

Cheveux au vent, c’est en voiture décapotable que nous avons découvert la Cappadoce. Et pas n’importe laquelle – une Ford de 1972. Après pratiquement une année à nous laisser conduire, nous avons enfin repris le contrôle de la vitesse, des chemins empruntés et des arrêts ! C’est donc une incroyable sensation de liberté qui nous envahit. Ayant trois jours devant nous, nous dessinons rapidement le tracé de notre parcours dont le but principal est de nous rendre à un très grand lac salé qui se situe dans les environs d’Aksaray. Fab l’a repéré sur une carte, mais aucun livre de voyage ne le mentionne. Qu’importe ! Il attise d’autant plus notre intérêt. Car organiser ses visites selon les indications d’un guide est plutôt confortable, mais parfois, se laisser aller aux découvertes offertes au hasard du chemin est plus enchanteur. Bien sûr, en route, nous nous arrêtons tout de même pour quelques visites immanquables, comme celle de la ville souterraine de Derinkuyu où des Chrétiens s’étaient réfugiés aux 6ème – 7ème siècles lorsqu’ils s’étaient trouvés persécutés. Pouvant accueillir jusqu’à dix mille personnes, le souterrain atteint une profondeur de près de huitante-cinq mètres ! Nous avons aussi beaucoup de plaisir à nous promener dans la vallée d’Ihlara où durant une balade au bord d’un mignon cours d’eau, il est possible de visiter d’anciennes églises dont certaines peintures murales sont encore visibles. Mais là où nous nous sentons le plus libre du monde, c’est lorsque nous décidons de ne plus suivre les axes routiers principaux. Guidés par notre instinct et notre sens de l’orientation – à défaut de pouvoir nous fier aux cartes géographiques trop peu précises – nous changeons les vitesses sur de petites routes de campagne. Dès lors, nous croisons très peu de voitures, nous évitons les camions (dont certains chauffeurs sont fous à lier !) et prenons le temps de laisser passer les troupeaux de moutons. C’est décidément à la campagne que nous nous sentons le mieux. Et lorsqu’au crépuscule nous sentons qu’il est temps de nous préparer pour la nuit, nous plantons notre tente plus ou moins au milieu de nulle part.

Sniff, sniff… Les trois jours de grande liberté touchent à leur fin… Nous la garderions bien cette voiture rétro. Car même si elle n’a pas la direction assistée, qu’elle ne possède que quatre vitesses et que cinq minutes sont nécessaires pour boucler la ceinture du passage toujours coincée, elle dégage un charme indéniable qui nous séduit entièrement, et qui ne laisse pas les passants indifférents.

De très vieilles pierres et de l’eau turquoise

Nous étions très curieux de quitter Istanbul, où nous nous plaisions tant, pour découvrir le sud de la Turquie. Nous nous demandions si les autres régions seraient aussi développées et modernes. Et bien oui: la Turquie qui a connu une croissance fulgurante ces dernières années a toutes les caractéristiques d’un pays européen en bonne santé – enfin… s’il en reste. D’ailleurs, selon un article paru dans Rue89, elle serait le seul état « à satisfaire aux critères de Maastricht en termes de dette publique et de déficit budgétaire ». Bien sûr, l’amélioration du niveau de vie ne touche pas tout le monde. A côté des voitures neuves, qui sont majoritaires, il n’est donc pas rare de croiser encore pas de mal de véhicules anciens, auxquels nous trouvons un certain charme. Les bus longues distances, quant à eux, sont les plus confortables que nous ayons empruntés en une année: il y a de la place pour les jambes, aucun paquet sous les pieds, personne dans les couloirs, on vous sert même du thé, des boissons rafraîchissantes ou de la glace et comble du luxe, chaque siège possède son mini écran où une clé USB peut être insérée! Les dix heures de bus de nuit d’Istanbul à Ephèse passent donc comme une lettre à la poste.

De très vielles pierres
Même si nous sommes fascinés par la modernité de la Turquie et que nous redécouvrons ce qu’est la vie occidentale, notre intérêt se porte avant tout sur les très vielles pierres des sites archéologiques de toute beauté. Ephèse, Hiérapolis et Aphrodisias, d’antiques cités du monde grec, nous font découvrir ce que pouvait être la vie à cette époque. Certaines constructions ont bénéficié d’une conservation époustouflante, comme les maisons en terrasse d’Ephèse où l’on peut découvrir peintures murales et mosaïques. Impressionnants par leur taille, les théâtres ont une capacité de 7’000 à 22’000 places. Le stadium d’Aphrodisias, quant à lui, pouvait accueillir 30’000 personnes. Finalement, nos stades d’aujourd’hui ne sont pas tous si grands…

De l’eau turquoise
Nos visites culturelles, que nous effectuons toujours sous un soleil de plomb, sont complétées par des moments de détente rafraîchissants. Dans les environs d’Ephèse, nous nous laissons tenter par une journée dans un parc aquatique. Ben quoi, il n’y a pas d’âge pour s’amuser un peu! Allez, hop, en piste: à plat ventre, sur le dos, dans une bouée, à deux ou tout seul, dans le noir ou le soleil dans les yeux, nous multiplions les descentes. A Pamukkale, « château de coton » en turc, nous avons la chance de nous promener sur un site naturel des plus incroyables: des vasques en gradin recouvertes de calcaire et remplies d’une eau bleu clair. Pour le faire, il est obligatoire d’enlever ses chaussures. Nous ne savons pas trop à quoi nous attendre, mais cela semble glissant. En fait, nos pieds adhèrent extrêmement bien sur cette surface des plus surprenante, recouverte d’eau chaude. Sur le plan visuel, nous avons l’impression de nous promener sur un glacier, ce qui est plutôt étrange. Plus au sud, dans la région de Fethiye, nous découvrons une mer d’un bleu turquoise digne d’un rêve. Malheureusement, à Ödüleniz, la face très touristique du lieu nous empêche de vraiment en profiter. Nous nous déplaçons alors d’une quinzaine de kilomètres, vers Kabak. Là, nous plantons notre tente sur un carré d’herbe d’une pension très sympathique. Dans la petite crique en contre-bas, il n’y a pratiquement personne, l’eau est belle et les vagues assez importantes pour nous ballotter. Il est fou de constater que certaines plages sont prises d’assaut, alors que d’autres, éloignées de seulement quelques kilomètres, sont calmes et donc des plus agréables.

Dans cette région, nous étions censés débuter le Lycian way, un chemin pédestre long de quelque cinq cents kilomètres, raison pour laquelle nous nous étions d’ailleurs équipés d’une tente. Finalement, après quelques jours de réflexion, nous renonçons à l’aventure, quelque peu effrayés par la chaleur. Nous continuons donc à nous déplacer en bus. Et la seule fois où nous mettons nos chaussures (pas enfilées depuis deux semaines) pour une petite heure de marche afin de rejoindre la route du bus, quelqu’un propose de nous emmener en voiture. Un peu flemmards… nous acceptons.

Depuis deux semaines, nous avons donc le sentiment d’être en vacances, ce qui n’a pas toujours été le cas durant cette année de voyage… En Turquie, en tout cas, tout est facile: les bus vous emmènent partout et à tout moment, les hôtels sont de bonne qualité – les places de camping un peu moins, la nourriture est variée et excellente, les gens sympathiques, le soleil toujours là. Que demander de plus?! Ah, je sais: une plage de sable de dix-huit kilomètres? Nous l’avons trouvée à Patara, accompagnée de ses dunes, même pas encombrées de vacanciers surexcités et, pour couronner le tout, entourée de ruines antiques.

La Turquie pour finir en beauté

Après plus de dix mois passés à sillonner l’Asie, nous sommes sur le chemin du retour. Cependant, avant de remettre les pieds sur le sol helvétique, nous avons eu une envie subite d’Orient. Quelques courtes délibérations sur le choix de la destination, une escale de nuit à Dubaï, un bagage perdu et nous arrivons finalement à Istanbul. La Turquie nous ouvre ses bras et nous notre curiosité. Nous ne sommes plus si loin de chez nous et en même temps, nous ne sommes pas encore rentrés. La Turquie, c’est un peu les vacances avant la fin, mais les sept semaines dont nous disposons devraient nous permettre de faire un peu plus que du tourisme, des ruines et de la plage…

En mode rééducation
Avant de nous lancer dans la découverte de cet immense pays, nous passons nos premiers jours à redécouvrir certaines choses que nous avions un peu oubliées… Du pain, du vrai beurre au petit déjeuner, des produits frais, des prix affichés, boire un café sur une terrasse, la propreté d’une chambre d’hôtel, LE CALME! Car oui, le plus frappant pour nous, c’est le calme et la sérénité qui planent dans cette immense ville – si l’on exclu la conduite ahurissante du chauffeur (je veux dire pilote) de taxi à notre arrivée. Fini les klaxons incessants, la poussière, l’air saturé de pollution, les « Fresh Asian Smelt », ici nous nageons dans un univers propre et serein… et ça fait du bien!

Retour également à nos habitudes culinaires et à une cuisine méditerranéenne. Les Turcs mangent du très bon pain et cela nous avait réellement manqué. La cuisine, c’est le sujet favoris de tous les voyageurs. Pas une seule rencontre sans évoquer ou délirer sur les manques de la maison. Une Québécoise rêve d’une Poutine, un Suisse d’une bonne fondue, un Italien d’un bon plat de pâtes et un Français d’une baguette de pain frais. Ce ne sont que des clichés pensez-vous? Pourtant ils se sont tous vérifiés! Pour l’instant, la fondue doit encore attendre et nous faisons honneur à cette cuisine turc, qui n’a pas fini de nous livrer tous ses secrets.

Istanbul, la merveilleuse.
Que dire de cette ville, pleine d’histoire, qui s’étire entre deux continents, qui vous surprend part sa richesse culturelle et sa modernité, qui vit au rythme de l’eau et de son port, des siestes des chats, des appels à la prière, des pêcheurs le long des rives du Bosphore, de son vieux Bazar, de la majestueuse Sainte-Sophie et de ses innombrables terrasses où l’on déguste du si bon thé ou un café turc? Qu’elle est unique, c’est certain, qu’il fait bon y vivre et qu’elle nous a enthousiasmés dès le début. Nos premiers contacts avec les Turcs sont chaleureux et nous sommes surpris de pouvoir régulièrement parler français avec certains d’entre-eux, et pas que sur les sites touristiques. Le temps est printanier, l’air frais qui descend du nord n’est pas pour nous déplaire et il fait bon se promener dans un parc ou au bord de l’eau.

Le temps d’une escapade en bateau et nous voilà sur l’Ile aux Princes – il serait plus juste de parler d’îles au pluriel – où il semble que toute la jeunesse turque s’est donnée rendez-vous. Un tour à vélo, une glace, une promenade en calèche ou une séance de bronzage sur une plage privée, il n’y a guère de place pour autre chose que de la farniente. Pourtant, il y a surtout un patrimoine architectural unique et de nombreuses villas, de style victorien, qui ne manquent pas de charmes! Certaines rénovées, d’autres, dans un état de délabrement avancé. Un instant, on se prend à rêver de vivre dans l’une de ces somptueuses demeures aux façades blanches et aux jardins soignés. Il faut dire qu’il n’y a pas de voiture sur l’île et que de ce fait, il y règne une atmosphère tranquille et apaisante.
Retour à la ville, fin de notre semaine à Istanbul, direction le sud et l’est du pays. Il nous reste quelques aventures à vivre…

Suku, artiste-peintre – Népal

Suku Gurung

Deux billes noires, un sourire jusqu’aux oreilles, une grande générosité et une voix qui vous inspire tout de suite le calme et la sérénité, le tout dans moins d’un mètre soixante. On pourrait résumer Suku ainsi, mais ça serait aller un peu vite.

Avant d’être népalais, il est avant tout gurung. Suku a grandi dans les montagnes, son village est à au moins deux jours de Katmandou et une partie de sa famille y vit encore. Il est descendu à la ville jeune et a eu un parcours un peu spécial. Son adolescence, il la passe en grande partie auprès d’un Lama dans un monastère, qui va lui enseigner l’art de la peinture, des mandalas et le bouddhisme. Après quelques années d’apprentissage, Suku a besoin de plus, il a envie d’aller à l’école. Il quitte donc son maître et commence une vie difficile. Il travaille la journée dans un hôtel (à l’époque, il gagne environ 800 roupies par mois, soit 12 CHF) et la nuit il étudie ses cours. Le rythme est infernal et il se décide quelques temps plus tard à reprendre la peinture des mandalas et fait également guide pour les touristes (avec qui il apprendra le français).

Aujourd’hui, à 31 ans, Suku vit de son art, mais ce n’est pas toujours évident. Les mandalas qu’il peint sont d’une extrême précision et doivent respecter un nombre incroyable de règles, mais il a bénéficié d’un apprentissage de premier ordre dans le domaine. Du coup, pas question pour lui de faire de concession sur la qualité de son travail, ce qui n’est pas le cas de tous les peintres de mandalas. Au début, il vendait ses œuvres dans les magasins de Thamel (quartier touristique de Katmandou), mais les marges des revendeurs étaient trop élevées et il ne s’en sortait pas. Aujourd’hui, il vend directement ses toiles à des étrangers et a déjà fait quelques expositions en France et en Corée du Sud, c’est beaucoup plus rentable pour lui. Il faut dire que la production d’une seule peinture lui prend environ deux semaines! Le procédé est long et complexe. Il fabrique lui même la toile sur laquelle il peint, car il est impossible de trouver de la bonne qualité sur le marché. Pour ça, il utilise de la peau de taureau, de la poudre blanche, de l’eau, un cailloux et beaucoup d’huile de coude pour arriver à un rectangle de tissu d’un blanc immaculé, digne de recevoir les futurs coups de pinceau. Puis vient une longue étape, où il dessine au crayon tous les motifs. Viennent ensuite les premières couches de couleurs, puis les détails plus fins. La dernière étape, consiste à appliquer de l’or (ou d’argent) sur la toile. Le métal précieux, c’est le Lama lui-même qui le lui fournit, car la préparation est spéciale et, là encore, respecte certains codes.

Le résultat est assez stupéfiant et d’une précision incroyable. Il y a plusieurs courants dans la peinture bouddhiste, mais Suku excelle dans celle dîtes du « Newar » – il ne se limite cependant pas uniquement aux mandalas et fait aussi des aquarelles.

Au-delà du peintre, Suku est également un chef de famille bienveillant. Difficile de décrire le nombre exacte de sœurs, frères, cousins, neveux et nièces qui vivent et gravitent autour du logement familial. Ce qui est sûr, c’est que la scolarisation des plus jeunes est pour lui une priorité, mais l’école coûte chère! Son frère Mani, guide de mon montagne, apprend en ce moment le français à l’Alliance Française de Katmandou, cela a également un coût et il ne suit les cours que quand il y a assez d’argent. Toutefois, Suku est content de pouvoir héberger tout le monde, personne ne manque de nourriture et ils ont enfin un appartement avec l’eau courante (quasiment un luxe dans une ville qui connaît de terribles problèmes d’eau et d’électricité). Dans le futur, il souhaite pouvoir refaire des expositions de son art en Europe. Mais les visas sont difficiles à obtenir pour les Népalais et les démarches administratives sont longues et leur issue incertaine. Il faut dire que le vieux continent est de nature méfiante, ce qui ne semble pas être le cas de Dubaï, qui accueille elle à bras ouverts, les nombreux Népalais qui se font exploiter sur les chantiers du Moyen-Orient… Mais ça, c’est une autre histoire…

Si vous le souhaitez, vous pouvez voir une partie de ses travaux sur son site internet : http://sukugurung.carbonmade.com